Le budget de Pravind Jugnauth
Comme on s’y attendait, le président de la commission économique du MMM Vishnu Lutchmeenaraidoo n’a pas été tendre envers le ministre des Finances dans l’entrevue qu’il a accordée au Matinal. “Au lieu de présenter un plan d’urgence à court et moyen termes, Pravind Jugnauth a préféré pratiquer la fuite en avant en promettant au pays le rêve mauricien pour 2025”, dit-il.
Quelles sont vos observations sur le budget 2011 présenté par Pravind Jugnauth
?
Disons-le sans détour : ce budget de Pravind Jugnauth est avant tout le
testament politique d’un premierministrable. Avant de commenter le budget,
permettez-moi de situer le style de gestion économique du gouvernement depuis
2005. “Denial” résume en un mot le style de gestion de l’économie depuis 2005.
Nous avions tiré la sonnette d’alarme sur la crise financière de 2008 bien
avant la crise elle-même. Nous parlions de crise imminente et demandions au
gouvernement de prendre les mesures préventives appropriées. L’ancien ministre
des Finances Rama Sithanen nia avec force tout risque de détérioration
économique et passa le plus clair de son mandat à nier la crise, préférant
bluffer, manipuler les chiffres pour faire croire aux fameuses “bumper crop” et
“early harvest”.
Ce n’est qu’une fois que la crise balayait la planète de plein fouet qu’il
décida finalement d’admettre que Maurice était en classe IV. C’était donc une
volte-face inouïe alors que deux semaines auparavant il parlait de boom sans
précédent. On connaît la suite.
Le présent budget de Pravind Jugnauth tombe dans l’autre extrême. Il reconnaît
avec justesse que la situation économique est alarmante, mais au lieu de
présenter un plan d’urgence à court et moyen termes, il a préféré
pratiqué la fuite en avant en promettant au pays le rêve mauricien pour 2025
avec un PIB d’un trillion de roupies et un revenu par tête d’habitant de Rs 600
000 par an. Maintenant, la question que je pose est simple : pourquoi venir
promettre le paradis dans quinze ans alors que le présent est presque un enfer
pour la vaste majorité des Mauriciens.
Et pourtant le ministre des Finances a tenu ses engagements électoraux !
C’est bien vrai. Hier dans l’opposition le MSM et le MMM avaient pris
l’engagement d’abolir la NRPT, la taxe de 15% sur l’épargne, de rétablir les
subsides sur les frais d’examen, d’exempter les 4X4 des droits de douane et les
60 premières tonnes de sucre de taxe pour les petits planteurs, etc. Pravind
Jugnauth a tenu ses engagements - sauf un et c’est possiblement le plus
important.
Vous faites référence à la compensation salariale…
Exactement ! Non seulement il n’y a pas eu de rattrapage de pouvoir d’achat,
mais pire, la maigre compensation a été engloutie dans les nouvelles taxes
avant même d’être payée !
Je vous rappelle que selon l’Economic Intelligence Unit du prestigieux magazine
The Economist, le pouvoir d’achat réel du Mauricien a chuté de $ US 10
157 en 2005 à $ US 6 689 en 2010 - soit une chute de 35 % en 5 ans.
Comparé à 2005, notre roupie ne vaut que 65 sous aujourd’hui. Vous comprenez
pourquoi la vaste majorité des Mauriciens arrivent à peine à joindre les deux
bouts. “Salaire alle dan manzé”, me disait l’autre jour une mère de famille.
Vous parlez vous-même de situation économique difficile, votre proposition de
rattrapage du pouvoir d’achat n’est-il pas démagogique ?
Nullement ! La paix sociale est le soubassement du développement. En fait, il
ne peut y avoir de développement économique durable sans la paix sociale.
Comment voulez-vous entrainer le pays dans une mouvance nationale pour le
développement si la majorité de la population se sent exclue de ce
développement ?
La fameuse ‘Bumper Crop’ du dernier gouvernement n’a bénéficié qu’à une poignée
de privilégiés laissant sur la touche la vaste majorité des Mauriciens. Dans un
tel contexte, le rattrapage du pouvoir d’achat reste le moyen privilégié de
ramener dans le pays la sérénité nécessaire au développement. Le ministre des
Finances a raté une belle occasion de se démarquer de son prédécesseur.
Pravind Jugnauth est venu confirmer son intention de faire de Maurice une Duty Free Island ?
Je me demande si ce projet est toujours viable dans le nouveau contexte
économique. La chute du pouvoir d’achat des Mauriciens, la frilosité des
touristes et la dégradation économique jouent contre le projet. Le ministre
devra peut-être faire une réévaluation du projet. Le gouvernement a aussi
annoncé la création d’un Sovereign Wealth Fund de $ 500 millions. Ce concept
très populaire avant la crise financière l’est moins maintenant car le manque
de visibilité économique, la volatilité des marchés augmentent les risques de
façon exponentielle.
L’or serait un bien meilleur investissement. Je constate également au niveau
des gros investisseurs dans l’immobilier de bureau et commercial un décalage
entre leurs perceptions et la réalité. Ils investissent des milliards sur une
projection de la demande propre à une économie en pleine croissance. Les
données ont changé. Ils me rappellent ces danseurs qui décident d’aller danser
quand la musique est terminée. Nous allons vers une saturation du parc
immobilier de bureau et commercial. Je me pose aussi la question de savoir si
notre pays a besoin autant de supermarchés et d’hypermarchés alors que le
pouvoir d’achat national ne cesse de baisser.
Les ménages se contentent de plus en plus du strict essentiel en matière
d’achat. La classe moyenne, tondue à vif avec les nouvelles taxes, ne cesse de
dégringoler. Je vois depuis quelque temps des parents qui, malgré le
déchirement de la séparation, encouragent leurs enfants devenus professionnels
à faire carrière à l’étranger.
Votre avis sur les nouvelles taxes introduites par le ministre des Finances.
Je peux affirmer sans risque de me tromper que les Mauriciens seront encore
plus pauvres en 2011. La crise sociale, l’insécurité, la violence prendront des
proportions nouvelles. Vous comprenez pourquoi j’insiste sur la paix sociale.
La paix sociale a un prix qu’il faut payer pour éviter le pire. La majeure
partie des revenus des nouvelles taxes proviendront des taxes indirectes et non
directes. C’est donc toute la population qui aura à contribuer à l’effort
fiscal. Nous sommes passés, le temps d’un budget, d’un paradis fiscal des
années 80, moteur de développement, à un enfer fiscal, moteur de fraude et de
corruption !
Vous semblez être pessimiste sur l’avenir...
Le pays mérite mieux. Nous avons su sortir le pays de l’ornière entre 1982 et
1990, grâce à la vision, à l’imagination, au courage politique du gouvernement
d’alors. Sir Anerood était l’homme de la situation et il y avait autour de lui
des hommes de grande envergure tels Paul Bérenger et par la suite sir Gaëtan
Duval, sir Satcam Boolell pour ne citer que quelques noms. Nous avions su
redonner confiance à une population qui avait perdu confiance et nous sommes
sortis de la pire crise économique et sociale depuis l’indépendance.
Comment évaluez-vous la situation politique actuelle ?
Le MSM et le Parti travailliste ont fait un mariage de raison. Il n’y a pas
d’amour dans ce couple. Cette alliance tiendra aussi longtemps que chaque
partenaire reste disposé à continuer à “pèze néné boire dilhuile” ! Pravind
Jugnauth est un Premier ministre en devenir et Navin Ramgoolam est un autocrate
nerveux et fin tacticien qui ne tolère pas la compétition.
Attendons voir la suite du feuilleton. Dans un autre ordre d’idées, je dois
reconnaître que le ministre des Finances n’a pas les coudées franches -
solidarité gouvernementale oblige ! Car blâmer l’ancien ministre des Finances
serait blâmé l’actuel Premier ministre.
Comment voyez-vous le pays en 2011 ?
Toutes nos prévisions économiques et sociales depuis 2007 se sont réalisées. Ce
parcours sans faute en matière de projection confirme le bien-fondé de notre
méthodologie. Pour rappel, dès 2007 nous avions tiré la sonnette d’alarme sur
les risques d’une crise financière alors même que le gouvernement du jour
s’auto-congratulait sur sa performance économique et la réussite exceptionnelle
de ses réformes. Ce n’est qu’en juin 2009 que le gouvernement dans une
volte-face sans précédent concédait qu’il y avait crise. Nous avions perdu
trois ans - trois années précieuses qui auraient pu nous permettre de mieux
préparer l’avenir. Fin 2009, le gouvernement se félicitait déjà d’avoir
terrassé la crise. Nous avions mis le gouvernement en garde contre toute
réjouissance précoce en affirmant que nous sommes dans l’œil du cyclone et que
l’économie va rechuter et que nous devions plutôt profiter de l’accalmie pour
préparer et protéger le pays. Gouverner, c’est prévoir n’est-ce-pas? Un
gouvernement qui berce une population dans l’illusion de la reprise alors même
qu’un tsunami pointe à l’horizon est irresponsable. Je peux affirmer sans
risque de me tromper que 2011 sera une année très éprouvante pour le pays et
sur le plan économique et sur le plan social. Le gouvernement est en “denial
mode”; la population aussi. Grande sera la panique, tout comme la colère quand
l’inévitable arrivera.
Vous aviez eu raison pour l’or !
A quoi ça sert d’avoir raison ? Le gouvernement a refusé d’investir les 50 % de
réserve en or ; l’or est passé entre-temps de $ 780 à $ 1380 l’once et nous
avons perdu Rs 35 milliards de profits - assez pour construire et distribuer
gratuitement 100 000 maisons et résoudre la congestion routière. Les risques
d’une implosion du système monétaire international sont réels. Il n’y a que
l’or pour sauver notre pays et la population dans une telle éventualité. Il
n’est pas trop tard, le gouvernement doit impérativement acheter de l’or que le
FMI met en vente.
Il y va de la survie de notre pays. En 2008, nous avions aussi proposé que 25 %
de nos réserves soient investies pour bâtir un stock stratégique de cinq mois
de produits pétroliers. Nous disposons d’un stock de 12 jours de produits
pétroliers - oui seulement 12 jours et la moindre rupture dans la fourniture
mettra l’économie à genoux. Le gouvernement avait fait la sourde oreille encore
une fois. Le prix du baril est passé entre-temps de $ 22 à $ 80! Quel gâchis,
n’est-ce-pas ? Là aussi, il n’est pas trop tard - le gouvernement doit en toute
urgence investir dans un stock stratégique de 5 mois de produits pétroliers.
Gouverner, c’est prévoir, et demain le gouvernement portera l’entière
responsabilité de son inaction si le pire arrive.
Votre analyse semble excessivement pessimiste...
Réaliste, pas pessimiste ! C’est une véritable crise de civilisation que vit la
planète. Elle dépasse largement l’économie et les finances. C’est une crise de
civilisation pour rééquilibrer trois siècles d’esclavage, de colonisation et de
pseudo globalisation. Au fait, c’est tout le modèle de la civilisation
occidentale qui est remis en question. Géopolitiquement, le G20 annonce déjà la
reconfiguration de la planète avec des nouveaux joueurs incontournables tels la
Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil.
Le dollar américain, monnaie de réserve internationale, est en passe de devenir
une monnaie de singe et risque fort de provoquer une implosion du système
monétaire international.
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